mardi 8 septembre 2015

Economie : La main étrangère n'est pas une fiction

Economie : La main étrangère n'est pas une fiction
par Abed Charef
Les importations de véhicules offrent un modèle de transfert du pouvoir économique, désormais partagé entre lobbies et puissances étrangères.

Le gouvernement algérien a perdu la main sur nombre de dossiers économiques. La décision lui a échappé progressivement, pour être transférée ailleurs, auprès de puissants lobbies ou de puissances étrangères, parfois une jonction d'intérêts internes et externes. Ce n'est ni de la fiction ni de la paranoïa nationaliste.

Le dossier de l'importation de véhicules en offre un modèle caricatural. Il révèle comment le transfert s'est opéré, par quelles étapes est passée cette évolution, et indique où se prend désormais la décision.

La crise a été déclenchée par des importateurs algériens qui s'inquiétaient d'une concurrence qu'ils estimaient déloyale. Un rapport remis au ministère du Commerce à l'initiative d'un gros importateur algérien, montrait que les concessionnaires automobiles faisaient des chiffres d'affaires énormes, mais ne gagnaient pas d'argent en Algérie. En fait, ils transféraient tous leurs bénéfices à l'étranger. Le gouvernement avait jusque-là fermé les yeux, mais la chute des revenus extérieurs l'a contraint à regarder dans cette direction. Il a ainsi tenté d'imposer de nouvelles règles aussi bien pour les concessionnaires que pour la qualité des véhicules importés.

C'est alors que le gouvernement s'est trouvé confronté à la puissance d'un nouveau lobby, qui pèse désormais près de dix milliards de dollars par an. Forts de leurs complicités au sein de différentes administrations, les concessionnaires ont réussi à obtenir le contenu des nouvelles dispositions avant même leur promulgation, quand ils ne les ont pas dictées. Dans ce qui s'apparente à un délit d'initié, certains ont importé massivement des véhicules avant l'entrée en vigueur des nouvelles normes, dans l'espoir de disposer de véhicules à des prix attractifs.

Les concessionnaires ont aussi réussi à faire changer le contenu du cahier des charges décidé par le ministère du Commerce. Dans quelle mesure la cacophonie qui a suivi a coûté son poste à l'ancien ministre du Commerce, M. Amara Benyounès ? On ne le sait pas encore, mais tout indique que l'affaire a beaucoup pesé dans la balance.

UN GOUVERNEMENT DEBORDE

Les concessionnaires ont mené un forcing pour imposer que les véhicules importés à bas prix, et ne répondant pas aux nouvelles normes, soient acceptés. Des milliers de véhicules restaient en rade dans les ports, en attendant des négociations dont personne ne détenait le véritable fil.

Les choses se sont compliquées dans une seconde étape quand des acteurs externes sont entrés en jeu. Selon des informations révélées par la presse, l'ambassadeur d'Algérie à Berlin a été convoqué mercredi dernier au ministère des Affaires étrangères allemand. Le diplomate algérien a entendu les reproches de Berlin concernant les véhicules allemands non autorisés à la vente, alors que des véhicules français répondant aux mêmes normes étaient admis sur le marché algérien. Le jour même, l'information tombait : les véhicules allemands pouvaient de nouveau être commercialisés. Ce qui montre qu'une injonction extérieure a suffi pour passer outre la réglementation algérienne.

Dans la foulée, on apprenait que les véhicules français avaient déjà bénéficié d'une faveur similaire depuis la dernière visite de M. Laurent Fabius, le ministre français des Affaires étrangères, à Alger. Discrètement mise en œuvre, cette entorse à la réglementation n'a été dévoilée que lorsque les Allemands se sont plaints.

Au final, on se retrouve avec un dossier qui échappe désormais au gouvernement. Celui-ci n'a pas réussi à imposer son cahier des charges initial, et n'a pas non plus résisté aux injonctions externes. Pris entre les concessionnaires, qui constituent désormais une véritable puissance économique, et les pays exportateurs, l'exécutif ne fait plus que colmater les brèches. Il ne fait même plus illusion.

Plus grave encore, avec la déliquescence institutionnelle, on ne sait même plus où se prennent les décisions, totalement opaques. Le nouveau ministre du Commerce, M. Bakhti Belaïb, se trouvait au Caire pour une réunion de la Ligue arabe quand la décision concernant les véhicules allemands a été prise. 

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